Fundación Casa Ducal de Medinaceli

La "Apoteósis de Hércules"

Parmi les nombreuses œuvres d'art conservées par la Casa de Pilatos, résidence sévillane de la duchesse de Medinaceli, l'une des plus remarquables est le plafond peint par Francisco Pacheco, maître et beau-père de Diego Velázquez, dans le salon qui à l'origine portait le nom de "Grand Cabinet" et s'appelle maintenant "Salon Pacheco" . Il s'agit d'une pièce longue et étroite que le IIIe duc d'Alcalá fit construire conjointement avec d'autres pièces adjacentes par l'architecte Juan de Oviedo dans la première décennie du XVIIe siècle, et est recouverte d'un plafond plein formé par un boisage dans lequel s'insèrent des toiles peintes.

Le plafond de Pacheco est le second exemple de ce type de revêtement n'ayant pas de précédents à Séville; celui de la maison du poète Juan de Arguijo le précéda de deux ans et celui du salon principal du Palais de l'Archevêché le suivit de très peu. Ainsi, nous voyons qu'entre 1601 et 1610, on réalisa au moins (à notre connaissance) trois exemples importants d'un type de plafonds décorés jusqu'alors inconnus dans la ville, et qu'il ne serait jamais repris.

De façon significative, les trois commanditaires —le poète Arguijo, le jeune IIIe duc d'Alcalá avec son conseiller Francisco de Medina et le cardinal Fernando Niño de Guevara— se connaissaient, et faisaient tous trois partie du même milieu de l'humanisme sévillan. Mais tandis que les plafonds de la maison de Juan de Arguijo et du Palais de l'Archevêché présentent encore de nombreuses inconnues concernant leurs auteurs et leur sens, le plafond de Pacheco pour la Casa de Pilatos est l'un des œuvres d'art les plus et les mieux documentées de l'histoire de l'Espagne.

Le peintre lui-même s'y réfère dans son traité l'Art de la peinture; il y affirme qu'il réalisa "l'œuvre du cabinet du duc d'Alcalá, a tempera, qui contient huit fables avec des grotesques et d'autres ornements". Plus loin, il indique qu'il l'entama en 1603 après s'y être engagé pour mille ducats, y qu'il tarda un an à la finir (elle est signée en 1604). Il ajoute aussi que le peintre et auteur de traité Pablo de Céspedes le conseilla sur la technique, par lui inconnu, de la tempera, et que l'humaniste Francisco de Medina fit de même sur les questions iconographiques. Il note finalement que "en rien de tout cela je n'ai utilisé de cartons de la même taille, mais des dessins de petites dimensions". On conserve trois de ces esquisses, qui durent être nombreuses vu la difficulté des raccourcis, dans trois collections différentes: l'une du panneau central avec l'"Apothéose d'Hercule", et deux de deux des panneaux de moindre dimension avec la "Chute de Faeton" et "L'Envie".

Il s'agit donc d'une œuvre exceptionnellement bien documentée, et que Pacheco considérait à l'évidence comme l'une de ses œuvres les plus notables. Et il en avait toutes les raisons, si l'on tient compte des difficultés qui se présentaient à lui: une peinture de plafond qui obligeait à des compositions de soto in sù auxquelles il n'était pas habitué, avec des nus (bien que très pudiques) abondants, avec une techinique, la tempera, qu'il n'avait jamais employée, et sur des thèmes de la mithologie classique dont il ne possédait une érudition que livresque. Pour tout cela, Pacheco obtint l'aide des membres de son "Académie" (cénacle), des humanistes très marqués par l'Italie.

Il faut dire que du point de vue de sa disposition matérielle, ce type de plafonds n'était pas courant non plus en Italie, où les plafonds voûtés et peints à la fresque étaient plus fréquents. En revanche, des plafonds plans avec des toiles insérées existaient à Venise, où le peintre et auteur de traité Vasari avait dû les voir, et en avait même réalisé un pour la Compagnia dei Sempiterni au Palazzo Corner-Spinelli.

Cette référence à Vasari est de fait importante, car tant le plafond de la maison d'Arguijo que celui de la Casa de Pilatos dérivent clairement de celui que Vasari avait peint dans le Salone delle Arti de sa propre maison à Arezzo, v. 1548. Celui-ci est en outre aussi exécuté a tempera comme les deux plafonds qui nous occupent maintenant. La seule manière dont le modèle put parvenir à Séville est le truchement de Pablo de Céspedes qui, tel que nous l'avons signalé, aida Pacheco, comme lui-même l'admet, ainsi qu'Alonso Vázquez, à qui on attribue le plafond de la maison d'Arguijo.

Nous ne connaissons pas bien l'activité de Céspedes à Rome mais, dans les années où il vivait dans cette ville, il était lié au cercle du cardinal Alessandro Farnese, qui incluait des personnalités comme Fulvio Orsini ou Paolo Giovio, et entretenait une étroite amitié avec Zuccaro et avec l'Académie de Saint Luc. Sans aucun doute, il put alors faire connaissance de Vasari lui-même puisque celui-ci travaillait au Vatican au début des années 70. Toujours est-il que Vasari devait être pour Céspedes, comme, à travers lui, pour Pacheco, le modèle de pittore letterato. Par ailleurs Céspedes réalisa d'importants voyages en Toscane et il est presque certain qu'il fit le voyage à Arezzo pour y admirer la Maison Vasari.

Mais ce n'est pas que dans les aspects techniques que Vasari servit d'inspiration indirecte; l'ensemble des allégories du plafond de Salon Pacheco montre le même type d'érudition sublimée que celui qui caractérise l'art de la Maniera toscane. Ici l'intervention fut celle du poète et humaniste Francisco de Medina, précepteur du IIIe duc, qui entendit le plafond comme une "leçon morale".

En effet, le panneau central, le plus grand, nous montre la montée d'Hercule à l'Olympe . Le héros thébain, comme on le sait, bien que fils de Zeus, était aussi l'enfant d'Alcmène, une mortelle, raison pour laquelle il ne possédait pas le privilège de l'immortalité. Il l'obtint par ses propres efforts, par sa vertu héroïque. Le héros était donc proposé au duc comme modèle pour l'"âpre chemin vers la gloire", comme l'affirme une inscription. Une autre inscription, sic petitur caelum, extraite des Fastes d'Ovide (I, 302), fait référence aux vertus nécessaires pour atteindre cette gloire, que l'on attribue aux astronomes, qui surent vaincre leurs faiblesses mortelles et "regarder au-delà". L'Hercule proposé au duc d'Alcalá est donc un héros philosophique, teinté de néostoïcisme, un exemple de nature brutale domptée par ses contacts avec les philosophes qui dérive de Plutarque.

Cependant, la "voie vers le ciel" n'était pas exempte d'embûches, comme le révèlent les peintures qui entourent le panneau central contenant l'apothéose du héros. Nous y trouvons une série d'exempla de l'Antiquité, utilisés dans un sens d'admonition morale: les trois premiers —Phaeton, Bellérophon et l'Envie — seraient des allusions aux vices qui doivent être évités; les trois autres —Icare , Ganimède et Astrée— évoquent les vertus nécessaires pour accomplir le chemin.

Astrée, déesse de la Justice, n'a guère besoin d'explication supplémentaire; sa vertu était de trouver le "juste milieu", comme le souligne son attribut, la balance. Ganimède, le jeune homme enlevé par Zeus en raison de sa beauté, trouva dans le néoplatonisme renaissant une inteprétation moins scabreuse, en venant à symboliser la pureté de l'âme enlévée vers le ciel pour y contempler la divinité. De son côté, Icare se réfère non pas tant au jeune homme intrépide qu'à Dédale, son père, qui apparaît aussi dans la composition, et fut considéré depuis l'Antiquité comme une image de la prudence. Nous aurions ainsi, du côté des vertus nécessaires au jeune duc, la Justice, la Pureté et la Prudence.

Du côté opposé, nous trouvons Phaeton, le fils d'Apollon qui, s'obstinant à conduire le char du Soleil , provoqua de grandes tragédies, et fut considéré comme le symbole de la Témérité. Bellérophon, le dompteur mythique du cheval Pégase, grisé par ses exploits, tenta d'escalader l'Olympe par ses propres moyens mais fut mis en échec par les dieux, ce qui fit de lui l'image de l'Arrogance. L'Envie, enfin, avec sa chevelure de serpents, fut comprise comme une somme de tous les maux, en opposition à la Justice, qui serait celle de tous les biens.

Le plafond de Pacheco, avec ses limitations artistiques, constitue donc un éloquent témoignage du monde de l'humanisme sévillan de la période de transition entre le XVIe et le XVIIe siècle, qui eut à la Casa de Pilatos, et dans la protection du IIIe duc d'Alcalá, l'un de ses refuges les plus sûrs; un refuge, pourrait-on ajouter, où le jeune Velázquez se forma et se développa.

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Vicente Lleó