Fundación Casa Ducal de Medinaceli

La Piedad

LUCIANI, Sebastiano (Sebastiano del Piombo) ca. 1540 [ 111 x 124 cm. ]

En juin 1533, Niccolò Sernini, agent des Gonzague à Rome, informait Ferrant que Sebastiano del Piombo avait proposé deux thèmes possibles, une Vierge à l'Enfant et saint Jean Baptiste ou "una nostra donna ch'avesse il figliol morto in braccio a guisa di quella dela febre, il que li spagnoli per parer buon cristiani et divoti sogliono amare questi cose pietose".270 L'usage funéraire de l'œuvre et sa conception, que l'on déduit des mots mis par Sernini dans la bouche de Sebastiano sur le goût des Espagnols, fondé sur une dévotion feinte, occasionnèrent le choix du second de ces thèmes.271

L'historiographie a traditionnellement mis en valeur l'importance décisive de Michel-Ange dans la conception de cette œuvre, tant en raison du fait que le modèle initial de Sebastiano, explicite dans ses déclarations à Sernini, était la Pietà du Florentin, alors connue comme "madonna della febbre" parce qu'elle était exposée dans la chapelle de ce nom à la basilique Saint Pierre du Vatican, qu'en raison des dessins préparatoires de la figure du Christ que Michel-Ange fit pour aider son ami Sebastiano dans la composition de cette peinture. Ces études préparatoires doivent dater de l'automne 1533 275, et deux d'entre elles sont arrivées jusqu'à nous : la première, plus esquissée, et avec des repentirs dans le tracé des contours, est conservée dans la Maison Buonarroti, et la seconde, avec son modelé et une étude de la lumière presque identiques à ceux de la peinture finale, est au Musée du Louvre.

Selon Paul Joannides, "La Pietà peinte pour Cobos est peut-être le produit le plus profond et le plus intense de la collaboration entre Sebastiano et Michel-Ange, et l'abrupte rupture de leur amitié, vers 1535, put être en partie responsable à la fois du retard de Sebastiano dans l'achèvement de l'œuvre, qui ne fut pas livrée avant 1539, et de la relative inactivité des dernières années de sa vie".276

C'est précisément la technique utilisée dans cette œuvre, l'huile sur pierre, que Sebastiano avait développée jusqu'à obtenir d'éviter que l'huile s'obscurcisse irreversiblement,278 qui fut la cause, selon Vasari, de sa rupture brusque et totale avec celui qui jusqu'alors était son ami et son protecteur. Sebastiano était persuadé que sa technique défierait le temps mieux que n'importe quelle œuvre, et c'est pourquoi il suggéra au pape d'obliger Michel-Ange à peindre le Jugement Dernier à l'huile, en utilisant sa préparation, ce que ce dernier refusa en alléguant que "peindre à l'huile était un art de femmes [...] et qu'il n'oublierait pas l'injure qu'il lui semblait avoir reçue de Fra Sebastiano, qu'il détesta presque jusqu'à sa mort".277

L'idée initiale de Sebastiano dut être altérée par Cobos lors de son troisième séjour à Rome durant la Semaine Sainte de 1536,272 effectué afin, entre autres, de négocier avec le pape la convocation d'un Concile général de l'Église.273 En accord avec Miguel Falomir, conservateur de peinture italienne au musée du Prado, les changements que le secrétaire de l'Empereur dut introduire dans l'idée originale allaient probablement dans deux directions complémentaires :

  • d'une part, ils rapprocheraient l'œuvre de ce qu'en Italie on appelait péjorativement le "goût espagnol", faisant du tableau la meilleure illustration du topos selon lequel on voulait définir une peinture comme un objet de dévotion exclusivement, dont on essayait d'éliminer toute composante qui n'invite qu'au plaisir esthétique : le paysage qui, dans les premières œuvres sur ce thème (Pietà de Viterbe et La Lamentation de l'Ermitage), occupe une grande partie de la composition, a disparu;
  • d'autre part, ils la rapprocheraient tant, précisément, des formes de dévotion auxquelles Cobos,274 d'après Pedro de Navarra, était sensible, que de l'argumentation antiprotestante, à travers l'affirmation de l'efficacité de l'intercession des saints, par le biais de l'intégration des figures de sainte Marie-Madeleine et de saint Jean Baptiste, et à travers l'honneur et la vénération dus aux reliques : la Vierge ne soutient pas le Christ, comme dans la Pietà de Michel-Ange, mais les symboles de la Passion, dans la main droite les clous et dans la gauche le voile de Véronique, objet auquel elle adresse son regard au lieu de l'adresser à son fils.

Entre 1988 et 1991, le tableau a été l'objet d'une longue restauration, pour tenter de le remettre dans l'état antérieur à l'agression brutale qu'il avait subi en 1936. Cette tâche fut menée à bien dans les ateliers du musée du Prado, institution qui le garde depuis lors en dépôt.


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