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Une grande demeure du Siècle d'Or
Le palais des Adelantados Mayores (Grands Gouverneurs) d'Andalousie, plus connu comme Casa de Pilatos, fut essentiellement construit entre le XVe et le XVIe siècle. Situé dans le centre historique de Séville, les acquisitions successives d'habitations et de terrains par les Enríquez de Ribera permirent de progressivement y ajouter des salons, des patios et des jardins jusqu'à en faire l'ensemble résidentiel privé le plus grand de la ville, et le cadre idéal où allaient se développer les nouveaux modes de vie et de sociabilité d'une ville enrichie comme métropole de l'empire d'outre-mer le plus important qu'on ait connu jusqu'alors.
Déclaré Monument national dès 1931, ce palais est une fine synthèse de la tradition gothique et mudéjare de la fin du Moyen Âge et des innovations de la Renaissance, dont l'introduction à Séville est due à la relation privilégiée que les Enríquez de Ribera entretinrent avec l'Italie, depuis le Ier marquis de Tarifa jusqu'au IIIe duc d'Alcalá.
Patio principal
La singulière diversité stylistique de cet espace, qui réunit harmonieusement des éléments gothiques, mudéjars, renaissants et romantiques, est le résultat d'interventions successives sur un patio rectangulaire, dont la chapelle constituait l'axe, et où le portique construit à la fin du XVe siècle par Pedro Enríquez et Catalina de Ribera ornait seulement les petits côtés. Leur fils Fadrique, le pèlerin de Jérusalem, amorça sa transformation Renaissance : il l'agrandit tout en le rendant carré, y ouvrit des galeries sur les quatre faces, y remplaça les piliers de brique par des colonnes génoises, et plaça en son centre la fontaine de marbre également acquise à Gênes. En 1539, son neveu et successeur Per Afán en enrichit les angles des quatre pièces principales de sa collection de sculptures (cf. n°4), et disposa tout autour une galerie de bustes antiques qui, à la manière d'un miroir historique, devait renforcer l'idée d'une continuité entre la fondation de Rome et le nouvel empire de Charles Quint. Au XIXe siècle enfin, on introduisit des nouveautés au goût du Romantisme, avec l'ouverture d'un accès au centre, le remplacement du sol en terre battue par du marbre et l'installation de nouvelles fenêtres à jalousies pseudo-nasrides.
La chapelle de la Flagellation
Un arc en anse de panier profusément décoré de motifs en plâtre de style plateresque donne accès à la chapelle. Considérée comme la pièce la plus ancienne du palais, celle-ci constitue un exemple singulier de la fusion des langages chrétien et musulman dans l�art mudéjar. Elle est recouverte de deux voûtes de tiercerons dont les nervures, ornées de motifs végétaux et des armes des Enríquez et Sotomayor, reposent sur des anges de la Passion. Elle conserve une plinthe d�azulejos réalisée avec la technique de la corde sèche, la seule du palais et l�une des seules de Séville. Au-dessus de l�autel, se trouve une �uvre en ronde-bosse paléochrétienne du IVe siècle de notre ère provenant de Rome, représentation du Bon Pasteur directement issue des modèles païens de l�Hermès portant l�agneau du sacrifice (Hermès Criophore). Au centre, une colonne que la tradition identifie à celle de la flagellation du Christ donne son nom à cet oratoire.
Salon du Prétoire
Fruit de l’agrandissement Renaissance du patio, il fut construit dans les années 1530. Il conserve tous ses éléments originaux, y compris les menuiseries en marqueterie mudéjar —dans lesquels on peut encore repérer des restes de l’ancienne polychromie. Cette œuvre est du même auteur que le bel ouvrage de plafond à caissons qui, d’une structure bien plus « moderne » que celle des autres boiseries du palais, conserve sa décoration de mocarabes. En son centre, Fadrique situe les armes de son lignage, de ses parents à ses bisaïeuls. Des azulejos « de cuenca o arista » (concaves ou bombés) en recouvrent les murs, tout comme ceux du reste du palais. Avec cent cinquante dessins différents, ils représentent la plus grande et la meilleure collection de ces pièces. Cette technique, innovante au XVIe siècle, permettait d’imiter les motifs aux lignes courbes des tapisseries auxquelles les différents pans de céramique du palais prétendent ressembler, ornés qu’ils sont, en leur centre, des armes des Enríquez ou des Ribera, entourés qu’ils sont de bordures.
La collection de sculptures
Ce palais abrite un échantillon unique des collections de la Renaissance. Avec une extraordinaire connaissance archéologique de l'Antiquité, on prétendait faire l'exposition des pièces de façon ordonnée et rigoureuse, tout en les intégrant à l'architecture et au jardin. La collection fut réunie par le 1er Duc d'Alcalá, éduqué dans le cercle humaniste de Séville, auquel la vice-royauté de Naples permit d'assouvir sa grande passion : les antiquités classiques. Dans la correspondance de l'époque, son nom est cité aux côtés de ceux de collectionneurs du rang de Côme de Médicis ou du Cardinal Farnèse, et nous le voyons parrainant des fouilles, acquérant des collections entières, ou recevant du Pape Pie V des pièces choisies dans la collection vaticane. En 1568, afin de les exposer à la « manière moderne » (cf. n°7), il envoya à Séville un architecte et un sculpteur-restaurateur en même temps qu'il initiait l'envoi des pièces qu'il entreprenait d'y réunir.
Vid. Colección escultórica del I Duque de Alcalá
Petit jardin
Jusqu’au début du XXe siècle, l’espace qui constitue aujourd’hui un seul et même jardin fut divisé en deux petits jardins séparés par des constructions sans intérêt, que leur démolition permit d’agrandir et d’unifier. Un bassin, dont le jet d’eau est orné d’un jeune Bacchus de bronze de Mariano Benlliure, rappelle que ce palais avait le droit de disposer de l’agua de pie (eau courante), c’est-à-dire d’être directement relié aux Caños de Carmona (Conduits de Carmona), aqueduc qui fournissait l’eau des fontaines de la ville, et dont quelques restes demeurent dans la rue Luis Montoto. Cette eau, monopole de la Couronne, servait à irriguer les vergers de l’Alcazar et, rare privilège, des concessions en étaient faites à des couvents ou des particuliers. Vers 1480, date de l’acquisition des premières maisons constituant le noyau initial du palais actuel, seuls vingt privilégiés jouissaient de cette agua de pie. C’est pourquoi la possession d’un jardin était le symbole le plus évident de la distinction sociale.
Cabinet de Pilate
Située sous la Tour (Torreón), cette pièce correspond à l’un des « quarts » du schéma traditionnel du palais, ou salle allongée avec chambres carrées aux extrémités. Elle hérite de certaines des caractéristiques du salon principal de cérémonies (salon royal ou qubba) de l’architecture hispano-musulmane. Ouverte sur le patio et l’ancien verger par une galerie à portique, elle est recouverte d’un plafond à structure déprimée de lacis à « calle y cueva » composé de cercles de dix entrelacs ayant pour centre une étoile à dix branches. Cette configuration ressemble à celle qui fut utilisée sur les coupoles qui représentent symboliquement la voûte céleste.
Grand Jardin, Palais du 1er Duc d'Alcalá
Espace utilisé comme verger dans le palais mudéjar primitif, il connut une profonde transformation après l’arrivée à Séville, en 1568, de l’architecte napolitain Benvenuto Tortello, chargé par le 1er Duc d’Alcalá de rénover le palais pour y exposer la collection qu’il avait réunie à Naples depuis 1558, lorsqu’il avait été nommé vice-roi par Philippe II. L’architecte choisit d’altérer le moins possible l’édifice et de construire un nouveau palais, attenant au premier, autour du verger transformé en jardin archéologique. Pour ce faire, il suivit le modèle du palais de l’Antiquité tardive, caractérisé par des loggias superposées tournées vers un paysage ouvert, à la mode dans l’Italie du début du XVIe siècle. Au lieu de le copier, il l’inversa, en ouvrant les galeries vers un jardin fermé et, dans le but d’y incorporer tout l’ensemble architecturo-sculptural, il projeta les colonnes et les arcs dans les murs des loggias au moyen de pilastres et d’arcs aveugles qui encadrent les niches accueillant les pièces archéologiques. Dans l’un de ses angles, une grotte compléta l’« italianisation » de cet espace.
L'escalier
C’est le premier et le plus monumental des escaliers de la ville, et il évoque la phase la plus ancienne de développement de la « maison double » présente pendant des siècles dans l’architecture domestique sévillane : autrement dit la répétition d’une distribution identique sur les deux étages, dont celui du haut est occupé en hiver et celui du bas en été. L’escalier acquiert alors un rôle prépondérant dans le cérémoniel courtisan car il fait office de ligne de partage entre l’espace public du patio et celui des salons de représentation, de sphère plus privée, de l’étage noble. Cette fonction explique un plan qui obéit à la volonté de rendre l’espace plus monumental, en le peignant de fresques bigarrées et en le recouvrant de la manière la plus somptueuse qui soit, au moyen d’une superbe coupole clairement inspirée de celle du Salon des Ambassadeurs de l’Alcazar Royal. L’effet ne put être plus réussi, car dans la ville on ne construisit pas de décor plus monumental et original que celui-ci.
Étage supérieur
C’est encore Fadrique Enríquez de Ribera qui fit bâtir de nouvelles pièces à l’étage supérieur, les recouvrant de splendides boiseries, les décorant, en 1539, de peintures murales dont demeurent d’importants restes : une série de portraits d’« hommes illustres » de l’Antiquité dans la galerie, une autre, inspirée de Pétrarque, représentant le Triomphe des Quatre Saisons. Lieu de réunion d’un cénacle d’humanistes du Siècle d’Or, l’un de ses membres, Francisco Pacheco, enrichit ces salons en peignant des plafonds pour le 3e Duc d’Alcalá. Cet étage recrée les intérieurs d’une maison-palais en donnant à voir des pièces de la collection Medinaceli : mobilier et tapisseries d’époque et peintures de Goya, de Luca Giordano, de Giuseppe Recco, de Carreño de Miranda, de Vanvitelli, etc.
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